
La construction de l’église fait partie d’un vaste programme de restauration de l’identité catholique à Anvers, qui avait été sérieusement mise à mal pendant la campagne iconoclaste. À partir de 1585, avec le retour du catholicisme sous la gouvernance d’Alexandre Farnèse, les jésuites furent parmi les principaux acteurs de cette restauration du catholicisme à travers différentes initiatives. La mise en place de sodalités (congrégations d’élèves et d’hommes destinées à exercer leur dévotion), le remplacement hautement symbolique de la statue du Brabo (emblème d’Anvers) de l’hôtel de ville par celle de la Vierge Marie, ou encore l’érection de la maison professe d’Anvers (résidence communautaire des prêtres jésuites et siège administratif de la province de l’Ordre) sont parmi les initiatives importantes des jésuites qui contribuent à publier dans l’espace public le retour de la foi catholique. À côté de l’imposant collège que les jésuites avaient déjà, la maison professe anversoise, fondée en 1612, devient rapidement le plus important centre de l’Ordre dans les Pays-Bas méridionaux.

Mais c’est certainement la construction de leur église, entamée en 1615 et consacrée le 21 septembre 1621, qui célèbre le mieux l’expression du triomphe du renouveau de la foi catholique à Anvers. Répondant à l’hôtel de ville, l’église est dédicacée à la Vierge et au fondateur de l’Ordre, saint Ignace. Elle est même la première église dans le monde à être nommée d’après son nom, et ce avant sa canonisation, le 22 mai 1622. Construite sous l’égide des jésuites François d’Aguilon (mort en 1617) et Pierre Huyssens, mais aussi avec l’intervention essentielle de Rubens – autour duquel a tourné une part importante de la littérature scientifique –, l’église baroque rompt avec tout ce qui avait été construit dans les Pays-Bas. Elle se démarque par sa nouveauté, mêlant style italien et références paléochrétiennes, le tout interprété par la sensibilité des artistes flamands. Nommée dès sa construction « temple de marbre », elle est sans doute l’une des plus somptueuses églises érigées au nord des Alpes au XVIIe siècle. Malgré les importantes donations émanant du roi Philippe IV d’Espagne, des archiducs Albert et Isabelle, du magistrat d’Anvers mais aussi de nombreux laïcs anversois, les sommes d’argent investies dans cet ambitieux projet furent telles que les donations ne suffisent plus et la construction ruina la maison professe anversoise. Si bien qu’en 1625, alors que les travaux se poursuivent à l’intérieur de l’église avec la construction de luxueuses chapelles latérales, le Supérieur Général de l’Ordre siégeant à Rome, Muzio Vitelleschi, démit de leurs fonctions le père supérieur de la maison professe, Jacobus Tirinius, et son architecte, Pierre Huyssens, prenant pour argument la censure de l’exhibition du luxe dans les églises, contraire à l’éthique jésuite défendue par Rome.

Derrière une façade à l’italienne, qui publie par son abondant décor sculpté la glorification de Marie et d’Ignace, l’église présente un plan longitudinal tripartite terminé par des absides semi-circulaires. La large nef, bien éclairée, est encadrée de collatéraux pourvus de confessionnaux et surmontés de galeries qui devaient être accessibles à une partie limitée des fidèles (élèves des collèges, sodalités mariales, archiducs). La nef laisse une vue immédiate sur le chœur qui est doté d’un retable imposant, selon une organisation qui convenait aux préceptes post-tridentins et aux activités pastorales et liturgiques jésuites (centrées sur la prédication, la communion et la confession). Deux chapelles latérales jouxtent les collatéraux nord et sud et forment des ensembles indépendants, l’une dédiée à la Vierge construite de 1620-1622 à 1645 pour laquelle on reconnait l’intervention de Rubens, et l’autre dédiée à saint Ignace construite à partir de 1621.

Si l’intervention de Rubens dans le programme a été si longuement débattue, c’est sans doute parce que les spécialistes estiment que lui seul était capable d’intégrer ainsi architecture, peinture et décor sculpté en une totalité signifiante et cohérente. On conserve de lui quelques dessins préparatoires et esquisses pour plusieurs ornements sculptés de la façade, de la chapelle de la Vierge et du maître autel. Mais son intervention majeure consiste sans conteste dans l’élaboration du programme peint, à savoir les plafonds peints illusionnistes à l’italienne décorant chacune des travées des collatéraux et de la galerie, ainsi que les deux tableaux du maître autel dépeignant les fondateurs de l’Ordre, Ignace et François-Xavier.

Le 18 juillet 1718, l’église est détruite par le feu. Un éclair s’abat sur l’église, la toiture prend feu et les colonnes de la nef s’effondrent en entrainant la structure de la nef et des vaisseaux décorés des peintures de Rubens. Certaines parties résistèrent cependant miraculeusement et nous donnent une idée de la splendeur originelle de l’église : le chœur et les chapelles latérales, la façade et la tour est. L’aspect originel de la totalité de l’église nous est connu par des descriptions et plusieurs représentations de l’intérieur de l’église – 48 représentations de l’intérieur de l’église ont été jusqu’à nos jours dénombrées, ce qui témoigne bien de la fascination exercée par cette église dès sa construction.






En ce qui concerne les plafonds de Rubens, les spécialistes ont pu reconstruire le programme grâce aux descriptions anciennes, aux esquisses peintes conservées de Rubens et à des copies plus tardives de Jacob de Wit (les premiers dessins sont exécutés vers 1711-1712 et, suite à l’incendie, il les a reproduits tout au long de sa carrière) et Christian Benjamin Müller (dessins réalisés au début de l’année 1718, juste avant l’incendie). Les dessins et aquarelles de Jacob de Wit ont été reproduits en gravure par Jan Punt (de 1747 à 1749) et ceux de Müller par Johann Justin Preissler à Nuremberg en 1735. L’église Saint-Charles-Borromée conserve aussi une série d’aquarelles plus récentes, exécutées au XXe siècle par une certaine Melle Deschamps, qui sont des copies relativement fidèles des aquarelles de Jacob de Wit.

Le travail de reconstruction est entrepris après 1720 sous la direction de Jean Pierre van Baurscheit, à qui l’on doit la conception des confessionnaux et lambris longeant les collatéraux, dépeignant la vie de saint Ignace et de saint François-Xavier. On doit également à cet artiste le portail d’entrée intérieur figurant les vertus théologales, la chaire de vérité et les lambris figurant les épisodes de la Vie du Christ et de la Passion à l’étage des galeries, le tout formant un ensemble d’une grande cohérence stylistique et iconographique.

D’autres adjonctions postérieures sont venues enrichir le programme iconographique, comme les peintures des apôtres au-dessus des confessionnaux, ou celles du chemin de croix dans la galerie en 1839. Enfin, il faut encore mentionner diverses campagnes de restauration de l’église, et notamment de la façade en 1749, 1820, 1831-45, 1849-1864 et 1981-87.