Décor : ornement et revêtement de marbre

Le contrat relatif au décor de la chapelle de la Vierge, signé le 13 mars 1635 entre les sœurs Houtappel et Anna s’Grevens d’une part et les sculpteurs Robrecht et Andries de Nole d’autre part, mentionne les six statues en marbre de Carrare à fournir et précise qu’il s’agit de « revêtir » (« becleeden ») la chapelle de marbre, le contrat détaillant les marbres qui seront utilisés. Conçu dès l’origine, le tapissage complet des parois de la chapelle par des marbres colorés – plus de 15 types de marbre différents ont été utilisés – constitue une autre singularité de la chapelle, qui s’aligne en ce sens sur les chapelles privées romaines les plus prestigieuses, comme la chapelle Pauline du Vatican ou la chapelle de Sixte V à la Basilique Santa Maria Maggiore, elles-mêmes inspirées des décors paléochrétiens.

Mais comment ce placage et ces ornements de marbre participent-ils du programme iconographique de la chapelle composé d’images peintes et sculptées ? Si on adopte une lecture iconographique, la relation entre les images et les ornements se placerait sur le mode de la complémentarité iconographique, les ornements pouvant eux-mêmes « faire image ». Ainsi, selon certains auteurs, les marbres tapissant la chapelle ne seraient-ils pas sans liens avec l’iconographie de la Vierge, ces derniers reflétant les vertus mariales. La Vierge était en effet souvent comparée à des pierres précieuses, notamment dans la littérature emblématique jésuite contemporaine, et souvent associée au marbre dans les œuvres peintes ou sculptées depuis le Moyen-Âge. Il en va de même pour la décoration sculptée de l’autel, où les roses et les fruits sculptés sur l’arc en marbre blanc accentuent notre compréhension de la scène peinte : renvoyant aux vertus de la Vierge, ces végétaux sculptés rappellent les fruits célestes de la vie pieuse de la Vierge et le parfum doux qui émergeait de sa tombe quand elle a été ouverte après sa mort, tombe qui est représentée sur le registre inférieur de la peinture.

Mais cette lecture iconographique ne peut rendre compte à elle seule du sens de ce décor. Se plaçant cette fois dans une perspective de lecture sémiotique pour interroger la relation entre ces ornements et les images exhibées dans la chapelle, on est frappé par la forte présence visuelle et plastique du revêtement de marbre et des ornements sculptés, au point d’éclipser parfois ou d’entrer en concurrence avec les images peintes et sculptées. C’est le cas notamment pour les encadrements en marbre blanc, décorés d’enroulements, de feuillages, de cornes d’abondance et de coquilles, dont la vitalité, la puissance et la plasticité tendent à attirer sur eux-mêmes l’attention qu’ils sont censés diriger vers ce qu’ils ornent, à savoir la peinture en leur sein.

Par ailleurs, certains motifs ornementaux sculptés acquièrent un traitement particulièrement virtuose de la matière, comme les nombreux cartouches aux formes souples et ondulantes jouant sur la métamorphose entre les composantes – formes qui reçoivent le nom d’auriculaire dans la littérature, en référence à leur allure charnelle évoquant l’image d’un cartilage d’oreille.

Les consoles supportant les statues des saints patrons des commanditaires, réalisées en marbre de Carrare, sont encore plus explicites à cet égard. Ces dernières prennent l’allure d’une matière organique évoquant les replis d’une peau ou de cartilage, suggérant même, par une surface polie à l’extrême, la représentation illusionniste de veines sous une peau ou les pulsations de la vie, un traitement virtuose qui assure pour ainsi dire l’effacement du médium ou de la matière sculpturale. Mais encore, parmi les panneaux de marbre coloré, certains se présentent dans des cadres moulurés en marbre, comme s’il s’agissait de tableaux, les dessins des plis et replis des veines du marbre étant exploités pour leur valeur picturale ou iconique. Il semble donc se jouer une véritable rivalité entre les médiums : entre la peinture et les ornements sculptés d’une part, entre les ornements sculptés et les marbres colorés d’autre part, les premiers égalent par leur virtuosité les qualités de vie et de métamorphose des seconds, mais aussi entre la peinture et les qualités picturales, pour ne pas dire spirituelles, des marbres colorés.

Mais finalement, ce que nous montre ce décor, c’est qu’au-delà de la signification propre à chaque ornement, c’est avant tout la variété, la luxuriance et le foisonnement se dégageant de l’ensemble du décor de la chapelle qui devaient être chargés d’un potentiel d’évocation pour le spectateur ordinaire et d’une signification pour ainsi dire intrinsèque : celle de la varietas et la copia conçues pour frapper l’imagination du spectateur. Cette dimension sensible du décor, jouant sur la diversité des matières, les effets de profusion, de saturation ou de variété du décor, comme sur le luxe ou l’éclat et le clinquant qui touchent et affectent un public large, représente a priori ce qu’il y a de plus antithétique à l’idée d’immatérialité divine. Pourtant, elle assume une part importante de la sacralité du lieu : l’expérience sensible à laquelle elle donne lieu peut en effet être comprise comme marque et chemin d’accès vers le spirituel, et elle trouve pleinement sa justification dans le cadre de la spiritualité jésuite et ignacienne, laquelle consistait précisément à s’élever à partir du sensible pour éprouver la rencontre avec le divin – les Exercices spirituels d’Ignace préconisant l’appel aux cinq sens pour aider à revivre la Passion et rendre la divinité plus présente.