top of page

Goût italien

Si l’église se démarque dans le paysage artistique contemporain par sa nouveauté, c’est aussi en raison de ses multiples références à l’art pré-baroque romain et italien, encouragées par Peter Huyssens et Rubens. La façade percée d’un portail triomphant, décorée de niches, surmontée d’un fronton et cantonnée d’ailerons involutés doit beaucoup à la manière italienne, dont l’église du Gésu constitue le prototype. Seuls le niveau supplémentaire, qui confère une hauteur plus importante à la façade, et l’abondance du décor restent inféodés à la tradition maniériste flamande. À l’intérieur, la voûte en berceau décorée de caissons à l’antique, les plafonds plats des bas-côtés et des galeries, le lanternon de la voûte du chœur sont autant d’allégeance à la mode italienne. L’ornementation des baies (portails, fenêtres et retables) est aussi paradigmatique : puissance des volumes, colonnes ou pilastres saillants, décrochements des entablements ; frontons brisés, superposés, interrompus et contrariés par une diversité de guirlandes, de tablettes, de cadres à crossettes, de clés démesurées ou de cartouches ; mais encore ailerons, gouttes, pot à feu, draperies ou masques grimaçants disposés partout là où il est possible de surenchérir ou de contrarier l’ordre architectonique… voilà autant d’éléments qui témoignent d’une filiation à l’esthétique italienne, et en particulier aux formules élaborées par Michel-Ange (la Porta Pia), Serlio (Livre extraordinaire publié en 1551) ou encore à l’art tardo-maniériste de Carlo Maderno. 

Mais, tout en mêlant héritage italien et tradition flamande, Rubens développe aussi de nouvelles variations particulièrement originales pour son temps, comme en témoigne son projet pour l’autel de l’église : les colonnes torses au mouvement dynamique (qui n’étaient pas courantes en Italie à l’époque), le fronton interrompu aux formes sensuelles ou encore le recours à des anges sculptés sur le fronton animent et adoucissent la structure architectonique. Dans son dessin de cartouche réalisé pour la façade, l’agitation des putti emportant le cartouche dans un mouvement tournoyant, de même que l’ampleur et la position triomphante du motif au centre de la façade, illustrent bien la liberté prise par l’artiste à l’égard des modèles italiens, comme s’il abordait le décor sculpté de l’architecture de manière presque picturale – la composition agitée de putti reflétant davantage l’animation des décors à fresque italiens de la fin du XVIe siècle que les prototypes de cartouches sculptés qui se multipliaient à ce moment sur les édifices romains et florentins.

Mais la nouveauté du style italien importé réside aussi inexorablement dans le système de perspective illusionniste révolutionnaire mis au point par Rubens dans les plafonds des bas-côtés et des galeries. La manière d’utiliser des panneaux de toile plats montés sur le plafond et insérés dans des cadres moulurés dorés, tout comme la perspective da sotto in sù, avaient été développées par les artistes vénitiens comme Titien et Véronèse. Ce dernier avait notamment réalisé le cycle de peinture relatif à l’histoire d’Esther dans l’église Saint-Sébastien de Venise, usant de raccourcis puissants, d’un cadrage serré avec des personnages surgissant des côtés, d’un escalier assurant la transition entre l’espace du spectateur et l’espace fictif, dont Rubens s’est inspiré pour ses plafonds. 

bottom of page